La Chaire de Design Jean Prouvé est un lieu bienveillant consacré au développement de la pratique et de la recherche en design. Elle s'engage dans un programme combinant recherche, enseignement, et projets en design, avec comme horizon la transformation au travers des pratiques réflexives du quotidien.
events Au sein de l’École Estienne, SEMPER* constitue un espace d’intersection et de réflexion commun aux quatre parcours de formation en DSAA. Le séminaire, initié par Jérôme Duwa, Olivier Moulin et Carole Papion invite à réfléchir et à mettre en valeur ce qui se constitue comme recherche en design dans le milieu qui est le nôtre à l’École Estienne : expériences en imprimerie, dans les métiers d’art, dans les domaines du graphisme, de l’illustration, de la création numérique, de la typographie et de la stratégie de communication.
Manuel ZACKLAD (Prof. CNAM) et Pierre LÉVY (Prof. CNAM) ont dialogué au sujet du design et des sciences humaines pour la conférence inaugurale de SEMPER, présentée par Jérôme Duwa (École Estienne), le jeudi 26 septembre 2024.
2024-09-26 16:00:00 +0200 CEST
events
Ce séminaire vise à lancer la troisième session de l’école du non-savoir. La première a débuté en septembre 2022 à l’Institut français de Milan et a abouti sous la forme d’une première exposition au même endroit en janvier 2024. Durant la seconde phase, l’exposition d’une centaine de panneaux a circulé à Florence et à Rome. De nouvelles écoles ont rejoint le projet initial en ajoutant de nouveaux visuels. Cet ensemble sera présenté à Porto dans le cadre de la Biennale du design à partir du 21 octobre 2023, avec le soutien de l’Institut français du Portugal.
La troisième phase s’organise sur la base d’une trentaine d’écoles et d’universités, venant de France, d’Italie, du Portugal, d’Allemagne, de Pologne, d’Inde et de Madagascar.
Le séminaire du Cnam entamera la phase de conception. Il permettra aux participants de mieux comprendre le projet et ses acteurs, et surtout de commencer, à travers des exemples et des exercices, à se confronter à cette difficile transformation qui consiste à accepter que ce que l’on ne connaît pas a une réelle valeur, un intérêt qui mérite d’être exploré. Au cours de cette phase, des tentatives de narration pédagogique seront également initiées, qui consisteront à enregistrer l’explication d’un spécialiste à partir des panneaux réalisés. C’est également au Cnam que cette phase sera finalisée par une nouvelle exposition qui aura lieu les 1er et 2 février 2024. Le projet se poursuivra ensuite pour de nouvelles phases qui seront également présentées lors du séminaire.
2023-10-16 14:00:00 +0200 CEST
events Le moment du design Leçon inaugurale de la Chaire de Design Jean Prouvé, 18 mai 2022
Merci Ruedi pour cette introduction chaleureuse. Ton parrainage de la chaire ne peut être qu’un bon présage pour ce qu’elle peut et va devenir.
Cher administrateur général, cher Marc, cher Jean-Claude, chers collègues, chers amis, chère famille, chers auditeurs présents ici ou quelque part en ligne, c’est un grand plaisir de pouvoir débuter cette leçon inaugurale aujourd’hui au CNAM.
Nous avons décidé, Lucie et moi, de faire nos leçons inaugurales ensemble, car il nous a semblé opportun de souligner la proximité et la complémentarité de nos sujets et de nos façons de faire, et de célébrer ce que le CNAM est pour tous : un lieu d’apprentissage et de développement, et aussi un lieu d’échange et de partage interdisciplinaire et intermétiers.
Cela impose également que nos leçons soient chacune d’une quarantaine de minutes chacune, afin que tout cela reste une célébration et un moment agréable, et que ça ne devienne pas un supplice pour vous.
Alors commençons tout de suite.
1. Jean Prouvé // où le design s’inscrit dans un historique sur le matériau, le faire, la société et l’attachement au quotidien
C’est un événement pour une chaire de design et un honneur pour son titulaire que le nom de Jean Prouvé y soit associé. Et je voudrais particulièrement remercier Mme Catherine Prouvé, pour sa présence aujourd’hui et pour son aide précieuse afin que cette association soit devenue une réalité.
Cette association s’inscrit bien sûr dans la filiation des chaires au sein de CNAM – et en particulier entre la Chaire d’arts appliqués aux métiers dont Jean Prouvé a été titulaire de 1958 à 1971 et celle de design Jean Prouvé qui démarre symboliquement aujourd’hui. Mais cette association joue également le rôle de médiation, permettant un moment de dialogue et de revendication sur ce qu’entend être la Chaire de design Jean Prouvé.
Je propose donc dans cette première partie de discuter de cette filiation, non dans une perspective historique, mais plutôt pour y trouver une inspiration de ce que peut être une Chaire de design au CNAM aujourd’hui, dans la société actuelle, avec ses propres défis sociaux, économiques, technologiques, et bien sûr écologiques. Au lieu de regarder dans le rétroviseur trop longtemps, il nous faut surtout voir cette filiation comme un moyen de regarder devant, et de nous aider à réfléchir sur ce qu’il y a à faire ici et maintenant en vue d’un futur qu’il nous faut encore imaginer et fabriquer.
1.1 Un parcours À mes yeux Jean Prouvé incarne un positionnement essentiel du design. Jean Prouvé a été ferronnier d’art, ingénieur (autodidacte), designer (autodidacte), architecte (autodidacte), résistant, acteur du programme de reconstruction français d’après-guerre, maire de Nancy, associé à l’Abbé Pierre pour la création d’une Maison des jours meilleurs. Venant de la ferronnerie traditionnelle, il a contribué à poser un regard moderne sur les matériaux, sur les formes et sur les usages. Son attachement à une conception pour l’usage et à destination de tous, et en particulier des plus modestes, en fait un acteur important d’après-guerre pas uniquement pour le monde de l’architecture et du design, mais pour la société dans son ensemble.
Et à ce titre, Jean Prouvé place le design là où on le veut : un acteur sociétal, producteur de propositions ingénieuses d’arrangements matériels dont la valeur émerge de leur utilisation et de leur potentialité de transformation. En d’autres termes, la valeur est à chercher du côté de l’appropriation des propositions du designer et de leurs conséquences pour la société.
Il s’agit donc de travailler sur ce que j’appelle la « contexture » des environnements dans lesquels nous évoluons, c’est-à-dire sur leur forme et leur texture. Je reviendrai plus tard de cette notion de contexture développée au cours de ma recherche.
1.2 Le faire, la réflexion, et la vision Par ailleurs, l’historien de l’art, architecte et sociologue Nils Peters, qui a réalisé une biographie sur Jean Prouvé1, nous rappelle que durant ses cours au CNAM, « Jean Prouvé n’était pas bavard, et préférait dessiner et visualiser ses idées sur le tableau noir. Ce qu’il montrait par ceci, fidèle à ses convictions, est que la pratique des théories était primordiale et que la connaissance acquise seulement académiquement ne pourrait guère inspirer de la créativité ». Il en va donc d’une attitude à l’égard de la relation entre la pratique et la théorie dans le domaine de la conception au sens large : celle d’étudier, de comprendre, et d’impliquer les évolutions scientifiques, technologiques, sociales, écologiques, et de leur trouver place dans la société au sein du quotidien de tous et de chacun.
Le design se présente donc comme une pratique et une attitude, interrogeant les mondes possibles, afin, comme nous le propose les politologues Trevor Hancock et Clement Bezold2 d’avancer vers des mondes préférables. Le design n’est donc pas qu’une histoire de création d’artefacts, une offre marchande de trucs. Travailler ces futurs au travers du design demande que la pratique s’accompagne d’une réflexion sociétale, politique, éthique, écologique et que cette réflexion ait lieu en action, c’est-à-dire au cœur même de la pratique du design.
Et là se trouve le premier aspect pour lequel la chaire de design se revendique dans la continuité de Jean Prouvé : une attitude à la croisée du faire, de la réflexion, et de la vision.
1.3 Au quotidien Cet attachement à l’exploration et à la compréhension puissante du matériau, de la technique et de l’esthétique qui peut s’en dégager sont au fondement de l’excellence de l’œuvre de Jean Prouvé, et résonnent avec l’école de Nancy qui s’efforce de revitaliser l’art, et de faire en sorte que la vie quotidienne en soit imprégnée.
Cet environnement — ce que je nommerai plus tard cette tradition — a probablement contribué à faire de Jean Prouvé artisan d’art un Jean Prouvé explorateur de nouveaux matériaux et de nouveaux projets, avec une sensibilité forte pour le quotidien et une attention particulière apportée à la dimension sociétale de son art. Ce que l’architecte Jean Nouvel note aussi lorsqu’il dit, parlant de Jean Prouvé, que « rarement l’éthique a créé une beauté aussi claire »1.
1.4 Une posture sociétale Le design donc est une pratique, une attitude et une posture sociétale :
celles d’abord de progresser dans l’incertitude, car le design est souvent dans une situation risquée où il doit agir en n’ayant qu’une information partielle ou approximative de son sujet ; celles ensuite de mener sans cesse une pratique réflexive pour continuer à s’ouvrir sur de nouveaux possibles ; et celles enfin qui font force de proposition pour une société et un quotidien, avec l’ambition qu’ils soient bienveillants pour chacun. Et là se trouve le deuxième aspect pour lequel cette chaire de design se revendique dans la continuité de Jean Prouvé : l’ambition que le design et les métiers d’arts soient à la fois des pratiques, une attitude et une posture sociétale au service de la transformation du quotidien de tous.
2. Le design // où le design est une attitude et une activité située et construite sur des ambivalences
Nous avons donc établi la posture sociétale visée par le design, ou du moins visé par la chaire au travers de ses activités à venir. Mais la question du design reste entière, et même si la route est par expérience semée de nombreuses embûches, empruntons-là, au moins un peu.
2.1 Ce que fait le design En effet, la définition du design a toujours été une problématique difficile – une longue histoire de discussions intenses et de conclusions ratées – et donc une question jusqu’ici insatisfaite. Un article récemment écrit par la professeure en design Alethea Blackler et ses collègues3 fait état de vingt ans de discussions mondiales sur la définition du design sans véritable résultat consolidé. Par une stratégie assez populaire de nos jours, les auteurs nous invitent alors à réfléchir plutôt sur « l’importance du rôle du design dans la conversation mondiale sur les approches transdisciplinaires de la recherche et de la conception des scénarios futurs et des voies émergentes pour l’humanité ».
Cette approche n’est à mon avis en rien satisfaisante, car encore une fois elle se détourne de la question du design. Or si à défaut de ne pouvoir déterminer ce qu’est le design, et sachant qu’il est au moins une pratique, une attitude et une posture, alors l’effort de clarification devrait se tourner vers ce que fait le design.
2.2 Le design est situé Cela peut partir d’un principe essentiel du design : celui de sa situation. J’entends par là que le design est situé : il trouve sa pertinence grâce à ce qu’il peut proposer comme arrangements potentiellement transformant. En d’autres termes, le design se perd et ne peut, ni même ne sait agir dans l’abstrait. C’est ici-bas, là où le vécu se déroule, là où le design se frotte à la matière, se cogne à l’expérience, que le design agit et établit sa pratique. Alors gardons cela en mémoire : le design est situé.
2.3 Le design est coloré Je reprends également avec intérêt la remarque formulée par le philosophe du design Johan Redström4, qui montre que le design est fondamentalement et historiquement structuré sur des dichotomies. Nous nous intéressons particulièrement aux relations dichotomiques entre méthodes et pratiques, entre quotidien et enjeux globaux, entre arts et industrie, pour n’en citer que quelques-uns. Ces dichotomies sont des lieux de frictions, ce que je nomme en m’inspirant des écrits du penseur japonais Yanagi Soetsu des irrégularités5,6, et je reviendrai plus tard sur cette notion, qui invite le design à questionner en permanence son positionnement et son action.
La pratique du design est donc fondamentalement réflexive. Comme pratique située dans un contexte complexe, cette réflexion portant – comme nous l’avons déjà vu – sur ce qu’il fait, le design ne trouve pas non plus de réponse définitive. Cette réponse est toujours changeante. En cela, le design est insaisissable. Autrement dit, et en complétant les propos de Johan Redström par ceux que j’ai proposés avec les professeures Ambra Trotto et Caroline Hummels, et nos collègues au travers des Pratiques Transformatives7, il est complexe et coloré, c’est-à-dire riche de sa variété de pratiques ; il est résilient et apprenant, engagé et transformant.
2.4 L’attitude Dans sa pratique, le designer engage des savoirs, des savoir-faire, et une attitude. Dans cet engagement, il lui importe d’effectuer un travail de qualité comme fin en soi – c’est ce que nous indique le sociologue Richard Sennett8. Il lui importe de faire appel et avoir confiance en ses sens et son imagination, en son intuition et sa curiosité – c’est ce que nous rappelle le professeur en design Kees Overbeeke9. Il lui importe finalement de faire appel à ses compétences et ses connaissances soit pour faire (c’est-à-dire travailler et dialoguer avec la matière), soit pour penser (c’est-à-dire travailler et dialoguer avec des idées).
2.5 L’instabilité durable Plongé dans les pratiques tel qu’elles sont vécues et tel qu’elles se réalisent, le design s’intéresse et se situe de plus dans un monde complexe. Il fait, questionne, réfléchit, ouvre vers des possibles, sans jamais mettre de côté l’ambiguïté et l’incertain… ce qui lui résiste en somme, le monde tel qu’il est vécu.
Il avance, et progresse donc dans une forme d’équilibre qui n’est en fait qu’apparente. Elle est formée par une multitude de déséquilibres temporaires. Caroline Hummels et moi-même avons nommé cela l’instabilité durable du design, qui qualifie donc la dynamique dans laquelle le design travaille. Les déséquilibres sont des moments de changements potentiels de la pratique : les réflexions en action et sur l’action permettent le changement, nécessaire pour maintenir une cohérence dans la pratique, nécessaire à l’apprentissage et au développement se faisant au travers de la pratique10.
Il apparaît donc pertinent de faire appel à la phénoménologie, et plus généralement aux philosophies que l’on rassemble autour de la notion d’embodiment. Pour être bref, ces philosophies montrent que nous percevons le monde en interagissant avec lui. Cette perception, fondamentalement active, nécessite un corps et des compétences. Nous percevons le monde par la potentialité de nos actions (ce que l’on peut faire), et en interagissant avec lui (par ce que l’on fait). Il y a donc une primauté du corps sur l’action, et une primauté de l’action, ou du moins du potentiel d’action sur la cognition, ce qui n’évacue en rien l’importance de la symbolique dans l’expérience humaine (aux niveaux esthétiques, sociaux et culturels).
2.6 L’anthropologie symétrique Voilà, de façon synthétique, nous avons donc vu que le design est une pratique dont la perspective est à la fois individuelle et collective, sociale et politique, transformatrice et virtuose de la complexité et des normes.
Il questionne comment les arrangements matériels qu’il propose peuvent transformer les pratiques, celles des autres et la sienne, et dans un mouvement complémentaire comment ces pratiques sont le moment11 d’une appropriation des propositions faites par le design.
Le design est alors porteur de sens venant potentiellement modifier le contexte dans lequel les personnes et les pratiques évoluent. Il est donc une médiation rendant possible la transformation, en donnant à l’action et à son acteur la possibilité de discerner et de penser sa condition et ses possibles, qu’il s’agira par la suite de sélectionner et d’approprier.
En design, il est donc question de ce que nous pouvons faire de nos environnements personnels, sociaux, écologiques… et de ce que ces environnements font de nous. Une forme d’anthropologie symétrique.
On se pose donc ici la question de l’esthétique et de l’éthique des contextes dans lesquels nous vivons et dans lesquels les pratiques performent. C’est ce que j’ai nommé dans mon travail d’HDR la contexture, la texture du contexte de nos pratiques5, qui permet la transformation de ces pratiques au travers de la médiation du design.
3 Une perspective // où la tradition, l’irrégularité et le moment viennent structurer un design sociétal
Le paysage du design ainsi décrit, il me semble maintenant important d’avancer dans cette leçon en positionnant la chaire et son travail dans ce paysage.
Pour cela, nous devons prendre parti, c’est-à-dire que nous devons structurer et formuler une approche et une perspective à partir desquelles nous travaillerons. Et c’est principalement de la perspective que je propose pour la chaire que je vais maintenant développer.
3.1 Les métiers d’art 3.1.1 Le maniement Pour commencer, il faut souligner la proximité du design aux métiers d’art. Déjà certes de façon institutionnelle – ce qui est le cas particulièrement ici dans la relation étroite construite entre le cnam et les lycées et les écoles des métiers d’arts et du design –, mais également parce qu’ils sont tous les deux socialement situés et engagés pour la proposition d’un beau à valeur sociétale au travers de l’usage et de l’utile.
Et il faut en effet rappeler brièvement que la contemplation des œuvres produites par les métiers d’art n’est pas suffisante pour les apprécier. C’est au travers de leur maniement que leur matérialité s’exprime et se dévoile. C’est au travers de leur maniement que leur utilité et leur valeur prennent sens. Tout comme pour le design, c’est donc au travers de leur maniement que leur esthétique se découvre pleinement.
Si les métiers d’art ont un rôle social en tant qu’œuvres12, c’est bien que cette matérialisation du beau au travers de l’utile et du durable a une pertinence sociétale et écologique, ce dont notre époque a bien besoin.
3.1.2 La qualité À côté de cela, le développement de l’industrie, c’est-à-dire de la production segmentée, mécanique et informationnelle, laquelle a permis un développement et des innovations impressionnantes au cours des derniers siècles – et le CNAM en est riche d’exemples et d’expériences –, lance également un défi à la production des arts appliqués et à l’importance de la qualité et de l’œuvre dans le quotidien.
Et ne nous y trompons pas, l’industrie est nécessaire pour servir une population qui continue de s’accroitre (cher Ruedi, ne discutons-nous pas de 10 milliards d’humains13!). Et c’est le rôle du concepteur (qui dans l’imaginaire peut-être un ingénieur ou un designer, et qui dans la réalité est un groupe multidisciplinaire, multiculturel, multimétier de personnes qui ensemble conçoivent et produisent) de projeter des propositions pour aller vers un monde préférable. Et dans ce souhait, la qualité de l’arrangement matériel proposé ne peut être absente. Raisonnons par l’absurde et nous verrons rapidement l’absurdité d’un monde qui douterait de la nécessité du beau.
Il revient donc aux artisans d’art, aux designers et aux ingénieurs, de non seulement garder le geste et la tradition qui permettent une création de qualité, mais aussi de renforcer celle produite par la machine. Que la fabrication profite des compétences, de la sensibilité, de l’attitude de l’artisan d’art afin d’améliorer la machine, son utilisation, et ses livrables ! Il revient alors à l’artisan d’art de ne pas se distancier de la production industrielle, mais bien au contraire, et je pense à l’instar de Jean Prouvé, de contribuer à son usage afin d’améliorer à la fois le métier qui intègre la machine dans sa pratique et la qualité de ce qu’elle produit. Et nous verrons plus tard l’exemple du designer textile Minagawa Akira qui illustre magnifiquement cette situation.
Pour avancer, je vais porter notre regard sur trois aspects relatifs et communs aux métiers d’art et au design, dont j’ai déjà parlé, et qui me semblent fondamentaux pour la structure et la conduite de la chaire : la tradition, l’irrégularité, et le moment.
3.2 La tradition Il faut bien être conscient que les métiers d’arts fabriquent des objets de très grande qualité parce que l’exigence du métier le demande et parce que son environnement le permet.
3.2.1 L’exigence L’exigence de la profession le demande, car celle-ci est sensible à la beauté de l’œuvre et de son maniement, et en revendique l’importance. Elle reconnaît le talent, bien sûr, mais n’en demande pas moins une attitude.
3.2.2 L’environnement Son environnement le permet, car c’est lui qui porte la tradition dans laquelle s’inscrit le métier d’arts. La notion de tradition que j’utilise ici est directement inspirée des écrits du penseur japonais Yanagi Soetsu, qui le décrit comme un environnement constitué d’une culture, d’une dynamique collective, et d’une vitalité centrée sur un savoir-faire. Une tradition n’est en rien statique. Bien au contraire elle se nourrit de ses expériences et des quotidiens individuels pour continuer à faire évoluer la collectivité.
Pour revenir au métier d’art, même si son exécution est parfois individuelle et que celui-ci trouve une certaine liberté d’action et de création dans son atelier, la pratique au sens large, elle, est plongée dans un environnement culturel et socio-économique qui lui permet d’exceller. Le métier d’art trouve sa force et son excellence parce qu’il s’inscrit dans une tradition.
Yanagi14 nous apprend justement que la beauté et la grandeur produites des mains de l’artisan d’art ne sont pas du simple fait de ses propres compétences (le pouvoir individuel), mais aussi de ce que son environnement lui apporte (le pouvoir au-delà [de la maîtrise individuelle]).
3.3 L’irrégularité Avant de continuer, je voudrais faire une petite parenthèse sur la philosophie japonaise, qui s’est développée à la croisée de la pensée bouddhique et de la phénoménologie15. Ayant passé environ 10 ans dans ce beau pays qu’est le Japon, dont mes années de recherche doctorale, cette philosophie, ainsi que la pensée japonaise en général, m’a beaucoup inspiré et aidé à réfléchir sur notre relation affective au monde tel qu’il est vécu, et sur l’expérience de la beauté dans les pratiques du quotidien. Les références à la littérature japonaise que je vais citer ici sont donc fondamentales dans la construction de ma réflexion sur le design et sur le quotidien.
Pour projeter cette parenthèse au-delà de ma propre expérience, j’espère pouvoir donner ici une nouvelle dimension à la coloration du design. Rappelons-nous le design est coloré, riche d’une grande variété de pratiques. Il est également riche d’une grande variété de cultures, ce qui se reflète mal dans la littérature et le discours du design actuel, très teintés de culture occidentale. Opérer un décentrage culturel du design, par son exposition à des visions du monde basées sur d’autres pensées et cultures, peut permettre un élargissement de la vision du monde par lequel le design opère. Ce positionnement manifestement post-colonial envisage la formation de perspectives et d’approches plus pertinentes pour des sujets auxquels le design peut contribuer de façon effective. Il va sans dire que la chaire soutiendra cet effort d’enrichissement culturel du design, bien au-delà de celui proposé par la culture japonaise.
Revenons donc aux métiers d’art et au design, qui reconnaissent la force et l’importance du geste dans ce qu’il exprime d’humain, dans ce qu’il exprime au travers de son imperfection.
Pour comprendre l’enjeu de cette notion – l’imperfection –, reprenons la notion de perfection et de ce que nous en dit Yanagi Soetsu14. Il la décrit comme une fermeture puisqu’il n’y a plus rien à changer. C’est parfait ! Elle est statique et finale, sans horizon de transformation possible. La fin de l’histoire. L’absence de liberté. À elle s’oppose l’imperfection, qui invite au changement, à une possibilité de transformation, et donc à une forme de liberté. Mais Yanagi ne se satisfait toutefois pas de cette forme de liberté, qui est en fait l’obligée de l’imperfection, elle-même posée par opposition à la perfection. Il nous invite alors à dépasser cette dichotomie affirmant que ce qu’il appelle la « beauté vraie » (奇数の美 – kisuu-no-bi) est dans une totalité non-dualistique – nous évoluons ici dans une pensée bouddhiste. Il suggère alors que cette beauté émerge de ce qu’il appelle l’irrégularité (歪み – yugami), lorsque l’imperfection s’identifie à la perfection et qu’il « demeure quelque chose d’inexpliqué » (不定形 – futei-kei). Yanagi l’exprime ainsi14 : « L’amour de l’irrégulier est le signe d’une quête fondamentale de liberté ».
3.3.1 Le geste Une telle irrégularité peut être l’expression du geste, celui de l’artisan d’art par exemple. Mais il nous faut penser également l’outil et l’usage, autres moments d’interaction et d’appropriation.
3.3.2 L’outil Hamada Shōji, grand céramiste japonais devenu Trésor national vivant en 1955, avait un four capable de contenir environ dix mille pots. Quand il lui a été demandé le besoin d’un tel four, il a répondu qu’il serait en mesure de contrôler complètement un four de plus petite taille, et qu’il en serait alors le maître et le contrôleur. Avec ce grand four, le « pouvoir individuel » s’affaiblit si bien qu’il ne peut pas maîtriser le four, et que ce qu’on avait appelé le « pouvoir au-delà » est nécessaire pour obtenir une bonne pièce16. Il veut donc travailler avec une grâce venant de ce pouvoir au-delà, et non vers une perfection que sa maîtrise imposerait.
Cette idée de pouvoir au-delà et d’irrégularité, chère à la beauté et à l’éthique exprimée par Yanagi, se retrouve également dans le travail de Minagawa Akira. Minagawa pousse la broderie industrielle aux limites de ses capacités mécaniques, afin de fabriquer des imperfections implanifiables et à priori inattendues, c’est-à-dire une forme d’irrégularités, source d’une beauté unique et poétique. Minagawa nous dit lui-même : « je veux que le tissu transmette la sensation que j’expérimente moi-même lorsque je fais des croquis. Les motifs brodés que je crée n’utilisent pas seulement le fil pour coudre le motif, ils réalisent un relief en trois dimensions par chevauchement des points de couture les uns sur les autres, perçant le tissu aléatoirement tout en restant fidèles à la lumière et à l’ombre de mon ébauche originale. Cette façon de faire de la broderie sans règle fixe donne la sensation de lignes dessinées à la main. »
Chez Minagawa, comme chez Hamada, c’est le couple designer-outil qui rend possible cette irrégularité en tant que nouvel artisan inscrit à la fois dans une tradition (céramique ou textile) et dans l’ingénierie industrielle.
Il y a quelques années, j’ai eu l’occasion d’explorer encore cette relation designer-outil au cours d’un projet avec l’un des étudiants, Yamada Shigeru, que j’accompagnais pour son diplôme de master à l’Université de Technologie d’Eindhoven. Nous avons fabriqué des objets de la cérémonie du thé japonaise en impression 3D basée sur des modèles paramétriques. Il s’agissait pour nous de travailler sur la vitesse d’impression de la machine pour que sur celle-ci s’associe avec un pouvoir au-delà. Ces objets ont été imprimés à la vitesse standard, puis 2, 3, 4, 6 fois plus vite. L’évaluation faite par plusieurs maîtres du thé nous a permis de conclure que l’objet imprimé à une vitesse d’impressions doublée rendait justement une esthétique de l’irrégularité appréciée par ces maîtres du thé17.
3.3.3 L’usage Mais cette irrégularité, si elle offre la liberté et la possibilité de transformation, doit également se manifester dans l’expérience de l’utilisateur. Sans cela, le quotidien serait un vécu sans étonnement, sans possibilité de changement et donc sans liberté. Pour que le quotidien vaille la peine, il faut que ce que le philosophe Bruce Bégout appelle le processus de quotidianisation18 soit accompagné d’irrégularités se logeant dans l’habituel ou dans l’attendu, ce que George Pérec appelle l’endotique19. Et alors le quotidien devient un moment en évolution permanente, et un espace d’imagination, de création et de liberté.
Si l’on s’intéresse à l’irrégularité dans l’usage au quotidien, nous vient alors trois concepts que je n’aurai malheureusement pas le temps de développer aujourd’hui, au travers desquels nous pouvons observer cette irrégularité :
dans la qualité structurelle et physique de l’objet, nous parlerons de micro-considération, concept proposé par le designer Fukusawa Naoto20 ; dans ses qualités interactionnelles, nous parlerons de micro-friction, concept proposé par la professeure en design et interaction homme-machine Anna Cox21 ;- et dans ses qualités expérientielles, nous parlerons de détails (es)sentiels22, concept que j’ai développé conjointement avec Eva Deckers et Michael Restrepo il y a une dizaine d’années. 3.4 Le moment du design, le moment de l’usage Il y a donc deux moments dans lesquels l’irrégularité peut offrir des opportunités de transformation : le moment du design et celui de l’appropriation. Et c’est sur ces deux notions que je voudrais conclure cette réflexion sur le design.
3.4.1 Le moment du design Ces deux moments donc, celui du design et celui de l’appropriation sont des moments de création. Et l’artefact, proposé puis approprié, fait lien entre ces deux moments. Pour le design, c’est donc un rôle essentiel, social et humaniste que de proposer les conditions pour la création au sein de l’usage, c’est-à-dire pour l’appropriation.
La position que je prends dans les projets et dans la recherche est de défendre et structurer cette idée précise selon laquelle le designer doit penser l’humain essentiellement par sa capacité d’appropriation et de création de son environnement, et par sa capacité de réflexion et de prise de décision responsable. Chose qui n’est pas triviale et pas toujours partagée quand on entend ce qui est prescrit suite à des « tests utilisateurs » ou sous le nom parfois malheureux de « bonne pratique utilisateur ».
Pour cela il faut deux choses. L’une a déjà été longuement discutée. Il s’agit bien sûr de l’irrégularité qui permet la réflexivité et le choix. L’autre est ce que j’appelle le vide artéfactuel, concept également inspiré de la philosophie japonaise, qui dénote l’espace d’opportunités offert à l’utilisateur. Le vide artéfactuel correspond donc à l’idée que l’artefact se doit d’ouvrir des possibilités d’appropriation, qu’il médiatisera via l’irrégularité. C’est dans ce vide artéfactuel que l’appropriation prend forme.
Fidèle à l’histoire du design et des métiers d’art, la chaire revendiquera avec force cette proposition sociétale de ses pratiques et de leur production. Cette proposition se fonde sur les considérations premières de la capacité que chacun a de créer, de la nécessité d’un collectif et d’une tradition toujours en évolution pour avancer ensemble, et d’un impératif catégorique jonassien d’une vie sociale, écologique et responsable23.
Consciente de produire et de disséminer des propositions dans un contexte complexe et au travers d’une pratique toujours en instabilité durable, la chaire continuera sans relâche à garder sa production ouverte au questionnement de tous, à commencer par elle-même.
3.4.2 En pratique En pratique, il s’agira d’abord de clarifier davantage le rôle et la manière du design dans le moment de sa propre pratique, hors et pourtant lié à celui du quotidien. Cet effort amènera à poser une pratique réflexive du design, et d’en questionner les implications anthropologiques, humanistes, sociales, écologiques, politiques et philosophiques.
4 Programme //où la chaire entend devenir un acteur sociétal par le design, pour la formation, la recherche, et l’engagement social
Maintenant que nous nous sommes positionnés sur la pratique du design, il ne nous reste plus qu’à souligner les éléments programmatiques de la chaire.
Au sein du CNAM, la chaire met en avant des démarches de formation et de recherche au travers du design, des métiers d’arts et de la culture. Elle a pour ambition de créer et développer des collaborations en formation, en recherche et en projet au sein du CNAM et hors du CNAM, en France, en Europe et à l’international. Elle ambitionne donc d’être une actrice d’un écosystème qui dépasse le CNAM et qui dépasse le design, et qui prendra pour horizon la possibilité d’une transformation sociétale du quotidien, au travers de celle des pratiques du design et des métiers d’arts.
La chaire dialogue avec de nombreuses institutions de formation, et s’inscrit entre autres dans la dynamique du Campus des Métiers d’Arts et du Design. Une des visions majeures portées par la chaire tend à la confirmation d’un continuum possible tout au long de la formation initiale des métiers d’arts et du design, du CAP au doctorat, et de la formation tout au long de la vie. Une attention particulière à ce sujet, et chère à mes yeux, est portée sur l’idée fondamentale et très CNAMienne qu’il faut apprendre à apprendre.
La chaire contribue à la recherche en design et dans les métiers d’art, de la culture et de la création, à l’intersection de considérations épistémologiques, artisanales et industrielles, sociétales et écologiques. Cette recherche est située et engagée au travers de la pratique. La chaire propose donc et promeut une recherche au travers de la pratique, c’est-à-dire une recherche impliquant la pratique dans l’activité de recherche, et non pas attenante à la recherche. Elle invite à des approches pragmatiques, basées sur une pratique réflexive10.
La chaire s’engage de plus dans des projets dont l’apport sociétal est clair. Historiquement, les propositions du design ont toujours contenu une dimension politique, et la chaire entend porter cette considération au centre de ses questionnements et de ses travaux.
Enfin, la chaire se veut constructivement provocatrice. Tout en questionnant et proposant des possibilités de transformations sociétales par les pratiques, elle s’attache à questionner ses propres questionnements, ses propres propositions et ses propres pratiques.
5 Aedh Wishes for the Cloths of Heaven Pour finir, je voudrais consacrer ce dernier moment pour remercier mes professeurs et collègues, ceux qui m’ont permis de m’inscrire petit à petit dans une tradition qui je crois a été décrite tout au long de cette leçon. C’est dans le cadre de cette tradition que j’ai évolué et grâce à laquelle je me tiens devant vous aujourd’hui. Et cette tradition s’exprime le mieux, je pense, par un poème de William Butler Yeat24. Je le reprends aujourd’hui, car il est devenu progressivement à la fois le symbole et l’expression de cette tradition pour nombre d’entre nous, et c’est profondément mon vœu que de pouvoir continuer à faire avancer cette tradition au travers de la Chaire de design Jean Prouvé.
Had I the heavens’ embroidered cloths,
Enwrought with golden and silver light,
The blue and the dim and the dark cloths
Of night and light and the half light,
I would spread the cloths under your feet:
But I, being poor, have only my dreams;
I have spread my dreams under your feet;
Tread softly because you tread on my dreams.
Si j’avais les voiles brodés du ciel,
Ouvrés de lumière d’or et d’argent,
Les voiles bleus et pâles et sombres
De la nuit, de la lumière, de la pénombre,
Je les déroulerais sous tes pas.
Mais moi qui suis pauvre et n’ai que mes rêves;
Sous tes pas je les ai déroulés;
Marche doucement, car tu marches sur mes rêves.
Je vous remercie.
6. Bibliographie Peters, N. Prouvé. (Taschen, 2017). Hancock, T. & Bezold, C. Possible futures, preferable futures. Healthc. Forum J. 37, 23—29 (1994). Blackler, A. et al. Can We Define Design? Analyzing Twenty Years of Debate on a Large Email Discussion List. She Ji J. Des. Econ. Innov. 7, 41—70 (2021). Redström, J. Making design theory. (MIT Press, 2017). Lévy, P. Le temps de l’expérience, enchanter le quotidien par le design. (Université de Technologie de Compiègne, France, 2018). Lévy, P. Designing for the everyday through thusness and irregularity. in Proceedings of the International Association of Societies of Design Research Conference 2019, IASDR19 (Manchester Metropolitan University, 2019). Trotto, A. et al. Designing for Transforming Practices: Maps and Journeys. (Technische Universiteit Eindhoven, 2021). Sennett, R. Ce que sait la main: la culture de l’artisanat. (Albin Michel, 2010). Overbeeke, K. The aesthetics of the Impossible. Inaugural Lecture (Eindhoven University of Technology, 2007). Schön, D. A. The Reflective Practitioner: How Professionals Think In Action. (Basic Books, 1984). Dōgen. La présence au monde. (Le Promeneur, 1999). Arendt, H. Condition de l’homme moderne. (Librairie générale française, 2020). dix—milliards—humains. dix—milliards—humains. dix—milliards—humains https://dix-milliards-humains.com/fr (2021). Yanagi, S. Artisan et inconnu, perception de la beauté dans l’esthétique japonaise. (Langues Et Mondes L’asiathèque, 1992). Stevens, B. Invitation à la philosophie japonaise: autour de Nishida. (CNRS, 2005). Yanagi, S. The Responsibility Of The Craftsman: And Mystery Of Beauty. (Literary Licensing, LLC, 2013). Lévy, P. & Yamada, S. 3D-modeling and 3D-printing Explorations on Japanese Tea Ceremony Utensils. in Proceedings of the Eleventh International Conference on Tangible, Embedded, and Embodied Interaction - TEI'17 283—288 (ACM Press, 2017). doi:10.1145/3024969.3024990. Bégout, B. La découverte du quotidien. (Éditions Allia, 2005). Perec, G. L’infra-ordinaire. (Seuil, 1989). Fukasawa, N. Micro consideration. MUJI無印良品: 無印良品とクリエイター (2015). Cox, A. L., Gould, S. J. J., Cecchinato, M. E., Iacovides, I. & Renfree, I. Design Frictions for Mindful Interactions: The Case for Microboundaries. in Proceedings of the 2016 CHI Conference Extended Abstracts on Human Factors in Computing Systems 1389—1397 (ACM, 2016). doi:10.1145/2851581.2892410. Lévy, P., Deckers, E. & Restrepo, M. C. When Movement Invites to Experience: a Kansei Design Exploration on Senses’ Qualities. in Proceedings of the International Conference on Kansei Engineering and Emotion Research, KEER 2012 366—372 (National Cheng Kung University, 2012). Jonas, H. Le principe responsabilité une éthique pour la civilisation technologique. (Flammarion, 1998). Yeats, W. B. La Rose et autres poèmes. (Seuil, 2008). 2022-05-18 10:30:52 +0200 CEST
events Séminaire les Médiums en design, pour une anthropologie symétrique du design – 2022 Le séminaire « les Médiums en design » est co-animé par CY Design Research, Dicen-IDF et la chaire Design Jean Prouvé du CNAM. Il invite les membres de la communauté de recherche en design à contribuer à la compréhension du design comme éco-système fait d’humains et de non-humains, de vivants et de non-vivants structurant et structuré par les pratiques et les réalisations.
Design ? une conversation avec des matériaux Dans les années 80, les recherches en design ont amorcé un tournant qui a remis en scène la matérialité des pratiques du design. Parmi les fondateurs de cette recherche, Donald Schön (1992) parle de l’activité du designer comme d’une « conversation avec les matériaux » : pour lui les matériaux sont aussi bien des mots, des paroles avec lesquelles on joue et sur lesquelles on revient, que des dessins qui permettent de préfigurer les architectures ou objets à venir.
Agentivité des mediums du design et pratiques incarnées La recherche en design s’est aussi inspirée pour une bonne part des anthropologues des cultures matérielles (Knappett & Malafouris, 2008; Ingold, 2007) qui attirent l’attention sur ce que le medium fait au designer et s’intéressent aux pratiques incarnées du design.
Propriétés physiques mais aussi sociales et culturelles Ces recherches aujourd’hui rencontrent les media studies aussi bien anglo-saxonnes (McLuhan, 1965; Mitchell & Hansen, 2010; Hayles, 2004) mais aussi la philosophie Allemande des médias (Kittler et al., 2018; Mersch et al., 2018)) et les recherches francophones en SIC (Jeanneret, 2000; Bonaccorsi & Flon, 2014)).
En effet, depuis le fameux « le medium est le message », on se rend compte à quel point le support n’est pas transparent derrière le message, ou pour le dire en termes de sémiotique (Fontanille, 2015) le plan de l’expression ne disparaît par derrière le plan du contenu. Même le numérique présente une matérialité sensible qu’il faut prendre en considération. En France, ce sont les historiens du livre (Chartier et al., 2001), de l’écriture (Christin, 2009) et des chercheurs en sciences de l’information et de la communication (Jeanneret, 2008) qui ont compris l’importance de revenir sur les incarnations, les métamorphoses, les légitimations, et les circulations de ce qui fait médiation entre notre réalité psychique et le monde extérieur, aussi bien que ce qui fait lien entre nous.
Médiation et médialité Plus largement encore, c’est une théorie de la médialité qui rencontre les théories du design : en effet, pour changer le monde, il ne faut pas être complètement pris dans ce monde. Il nous faut un entre deux, des espaces et des objets de médiation, qui permettent à la fois de relier et de mettre à distance pour composer et recomposer des alternatives à ce qui nous entoure (Guillory, 2010; Gentes, 2017).
Une histoire des médiums Ainsi, les recherches centrées sur les médiums du design s’intéressent non seulement à l’agentivité des matériaux mais aussi à la façon dont le designer fait sens avec les matières qui s’inscrivent dans une culture et une histoire de leurs mises en œuvre (Greenberg, 1971). Le bois par exemple ne présente pas que des propriétés chimiques et mécaniques, il s’inscrit aussi dans une culture du bois : les valeurs sociales qui lui sont associées, et dans les traditions de son utilisation : pour des objets utilitaires mais aussi pour des sculptures.
Le rôle des mediums et la relation qui est entretenu entre le designer et ces mediums évoluent de plus dans la temporalité du projet et dans celle de l’usage (Levy, 2020). D’un côté, la variété et la pluralité des fonctions du prototype au sein du projet en fait un medium au cœur du déploiement du projet. De l’autre côté, l’appropriation est un moment d’évolution du sens.
Quels médiums pour le design d’aujourd’hui ? Aujourd’hui, le design ne traite plus seulement du bois ou du plastique, mais du vivant, de nos modalités d’être ensemble, et des technologies qui organisent notre vie. De la terre à l’IA, il y a plus d’un pas et pour les designers contemporains des enjeux colossaux. Quelles sont les caractéristiques de ces nouveaux matériaux du design ? Quelles sont les méthodes de travail de ces nouveaux médiums ? Comment former à ces nouveaux matériaux du design ?
Le séminaire « les médiums en design » invite ceux qui se questionnent sur leurs pratiques, qui s’interrogent sur leurs méthodes à rejoindre la communauté de recherche formée par CY Design Research, Dicen-IDF et la chaire Design Jean Prouvé CNAM pour échanger sur ces questions.
La revue Sciences du design est associée à ce travail : nous proposerons aux auteurs qui ont abordé ces questions de faire une présentation de leur article.
Bibliographie Bonaccorsi, J., & Flon, É. (2014). La « variation » médiatique: D’un fondamental sémiotique à un enjeu d’innovation industrielle. Les Enjeux de l’information et de la communication, n° 15/2(2), 3–10.
Chartier, R., Collectif, & Cavallo, G. (2001). Histoire de la lecture dans le monde occidental (Édition : [Ed. augm. d’une bibliogr. rev. et augm.]). Seuil.
Christin, A.-M. (2009). L’Image écrite ou La déraison graphique (Enlarged édition). Flammarion.
Fontanille, J. (2015). Formes de vie. Presses universitaires de Liège. https://doi.org/10.4000/books.pulg.2207
Gentes, A. (2017). The In-Discipline of Design: Bridging the Gap Between Humanities and Engineering (1st ed. 2017 edition). Springer.
Greenberg, C. (1971). Art and Culture: Critical Essays. Beacon Press.
Guillory, J. (2010). Genesis of the Media Concept. Critical Inquiry, 36(2), 321–362. https://doi.org/10.1086/648528
Hayles, N. K. (2004). Print Is Flat, Code Is Deep: The Importance of Media-Specific Analysis. Poetics Today, 25(1), 67–90.
Ingold, T. (2007). Materials against materiality. Archaeological Dialogues, 14(1), 1–16. https://doi.org/10.1017/S1380203807002127
Jeanneret, Y. (2000). Y a-t-il (vraiment) des technologies de l’information ? Presses Universitaires du Septentrion.
Jeanneret, Y. (2008). Penser la trivialité: Volume 1, La vie triviale des êtres culturels. Hermes Science Publications.
Kittler, F., Guez, E., & Alloa, E. (2018). Gramophone, film, typewriter (F. Vargoz, Trans.; Illustrated édition). Les Presses du réel.
Knappett, C., & Malafouris, L. (Eds.). (2008). Material Agency: Towards a Non-Anthropocentric Approach. Springer US. https://doi.org/10.1007/978-0-387-74711-8
Levy, P. (2020). Artefactual emptiness: On appropriation in kansei design. Proceedings of the Kansei Engineering and Emotion Research International Conference 2020, KEER2020.
McLuhan, M. (1965). Understanding media: The extensions of man. McGraw-Hill.
Mersch, D., Alloa, E., Baumann, S., & Farah, P. (2018). Théorie des médias: Une introduction. Les Presses du réel.
Mitchell, W. J. T., & Hansen, M. B. N. (Eds.). (2010). Critical Terms for Media Studies (Illustrated edition). University of Chicago Press.
Schon, D. A. (1992). Design as a reflective conversation with the materials of a design situation. Research in Engineering Design, 3, 131–147.
2021-12-11 20:04:12 +0200 +0200
events Entre méthodes et pratiques en design - un moment d’apprentissage Pierre Lévy, professeur du CNAM, Chaire Design Jean Prouvé
Je voudrais m’intéresser aujourd’hui à la place des méthodes et des pratiques en design, et décrire leur entre-deux comme un lieu de développement des pratiques, c’est-à-dire comme moment d’apprentissage réflexif sur la pratique.
1. Le design Le premier point d’attention porte sur la notion même de design et la façon dont il est décrit par la propre communauté de recherche en design. Un récent article (Blackler et al., 2021) propose une analyse de vingt ans de discussion sur l’une des listes de diffusion les plus actives et renommées dans le monde (PHD-DESIGN List, n.d.) et portant sur la définition du design. Sa conclusion est comme suit (traduit par l’auteur) :
Malgré un discours robuste autour des perspectives pertinentes sur le design, les discussions de la liste sont et ont été répétitives, sans aucun progrès significatif vers une définition consolidée du design. […] Nous proposons qu’il n’est peut-être pas possible de définir le design de cette manière, et que le domaine devrait s’éloigner de la réitération et discuter de l’importance du rôle du design… (Blackler et al., 2021)
On note déjà que la tentative de définir le design semble inaboutie, et les auteurs de l’article suggèrent que cette tentative est inévitablement vouée à ne jamais aboutir. Le design ne se laisse pas définir et il serait temps de passer à autre chose : au lieu de questionner ce qu’est le design (description de l’état), il semble plus judicieux de questionner le rôle du design (description de l’action).
La résistance du design à la définition semble également être exprimée par Johan Redström (2017) lorsqu’il s’intéresse aux fondations du design (traduit par l’auteur) :
Le design semble fonder son existence sur des complexités issues de dichotomies. De négocier la forme et la function. D’engager l’artisanat et ses compétences, et de travailler avec la production industrielle. De travailler avec des processus ouverts et d’être profondément engagé à la méthode. D’être centré-utilisateur et design-driven. D’être art et science. […]
Et le design peut aussi être remarquablement résilient et désireux de s’engager à tout cela, ce qui n’est ni blanc ou noir, mais complexe et coloré. […]
La raison pour laquelle on apprécie tellement les dichotomies en design est parce qu’elle permet d’adresser le conflit, la collision, et les contradictions, et d’ouvrir ainsi de nouvelles perspectives et potentiels.
Ce que nous dit Redström est que l’on peut trouver la force du design (certains disent le pouvoir du design, nous dirons sa capacité d’action) au sein des dichotomies. C’est en effet dans la collision, la contradiction ou l’irrégularité (Lévy, 2018, 2019) que des opportunités nouvelles se créent et que des transformations sont possibles. Dans un entendement commun et global, c’est-à-dire sans friction, la transformation est bien moins probable.
La première conclusion est donc ainsi : Le design est insaisissable, et c’est plutôt une bonne nouvelle ! La pratique réflexive ainsi que l’acceptation de plusieurs perspectives et de dichotomies semblent donc pertinentes pour le design.
2. Méthodes et activités Les méthodes en design sont essentielles pour la formalisation des processus de conception en design. Elles le sont donc dans l’enseignement puisqu’elles permettent de clarifier un cadre pour le projet et à l’apprenant d’appréhender des complexités précédemment discutées. Elles le sont dans la pratique professionnelle à la fois pour la gestion du projet et pour la communication du et autour du projet.
Toutefois, les méthodes existantes, et nous prenons ici pour exemples le double diamant proposé par le Design Council (2019) et le Model MV proposé par Kees Dorst (2015), semblent s’attacher à une séquence ordonnée d’activités prédéfinies, séquence souvent contredite par la pratique.
La pratique peut être plus fidèlement décrite par les actions situées qui la constituent. C’est ce que propose le Reflective Transformative Design Process (C. Hummels & Frens, 2009) qui propose une perspective effective autant pour la pratique elle-même du design que pour son enseignement. La description d’activités permet de cadrer la pratique sans pour autant imposer un ordre hors contexte. L’expérience montre en effet que le projet doit s’adapter aux ressources accessibles et aux contraintes et opportunités qui se présentent.
De plus, dans une période où le design s’investit de plus en plus dans l’arène sociale et politique, nous avons développé une nouvelle approche, les pratiques transformatives (C. C. M. Hummels et al., 2019), qui justement reprend cette idée de discuter la pratique au travers d’activités tout en incluant des notions liées entre autres à la participation sociale et à la complexité.
Ces approches ne prescrivent ni séquence ni réelle limite aux activités, si bien que la pratique ainsi décrite peut paraitre à la fois déstructurée et omnipotente. Mais c’est justement au travers de l’une des dichotomies proposées par Redström - travailler avec des processus ouverts et d’être profondément engagé à la méthode - qui expose la force de l’association contradictoire formée par la méthode et la pratique, celle d’une activité réflexive possible grâce au delta entre pratique et méthodes, qui invite justement à une réflexion transformative, et donc apprenante, de la pratique du design.
C’est donc là la seconde conclusion de ma présentation aujourd’hui : Les méthodes et !es activités forment donc une dichotomie en design. C’est au travers de cette dichotomie que la pratique du design s’établit, au travers d’une réflexion transformative et apprenante de la pratique.
Bibliographie Blackler, A., Swann, L., Chamorro-Koc, M., Mohotti, W. A., Balasubramaniam, T., & Nayak, R. (2021). Can We Define Design? Analyzing Twenty Years of Debate on a Large Email Discussion List. She Ji: The Journal of Design, Economics, and Innovation, 7(1), 41-70. https://doi.org/10.1016/j.sheji.2020.11.004
Design Council. (2019). What is the framework for innovation? Design Council’s evolved Double Diamond. Design Council. https://www.designcouncil.org.uk/news-opinion/what-framework-innovation-design-councils-evolved-double-diamond
Dorst, K. (2015). Frame Innovation: Create New Thinking by Design. MIT Press.
Hummels, C. C. M., Trotto, A., Peeters, J. P. A., Levy, P., Alves Lino, J., & Klooster, S. (2019). Design research and innovation framework for transformative practices. In Strategy for change (pp. 52-76). Glasgow Caledonian University.
Hummels, C., & Frens, J. (2009). The reflective transformative design process. Proceedings of the 27th International Conference - Extended Abstracts on Human Factors in Computing Systems CHI09, 2655-2658. https://doi.org/10.1145/1520340.1520376
Lévy, P. (2018). Le temps de l’expérience, enchanter le quotidien par le design [Habilitation à diriger des recherches]. Université de Technologie de Compiègne, France.
Lévy, P. (2019). Designing for the everyday through thusness and irregularity. Proceedings of the International Association of Societies of Design Research Conference 2019, IASDR19. International Association of Societies of Design Research Conference 2019, Manchester, UK.
PHD-DESIGN List. (n.d.). Retrieved 4 December 2021, from https://www.jiscmail.ac.uk/cgi-bin/webadmin?A0=PHD-DESIGN
Redström, J. (2017). Making design theory. MIT Press.
2021-11-18 10:30:52 +0200 +0200
teaching Description The major aim of this course is to improve students’ scientific or technical presentation skills, focusing on the roles and the effects of involved media in presenting a project (e.g., a poster, an artefact, a video…). First, a few theoretical guidelines a provided for understanding the practical and rhetorical use of media in presentation. Second, this understanding is used in presenting projects carried out or chosen by students in their own specialties. Third and last, presentations are analysed to point out how they can highlight the key aspects of a project, and how the elements produced for the project can structure a presentation and serve its objectives.Therefore, the aim of this course is to develop students’ abilities to understand and present scientific and technical projects.
Objectifs pédagogiques acquiring techniques for structuring and performing a presentation, using and adapting different media for presenting, using relevant resources to continue progressing independently.The development of these skills will be based on projects selected by the learners (their own or chosen projects). Requirements Be enrolled in one of the international Masters programs of the scientifiques and technology departments at Cnam proposing this course. This course is entirely taught in English. Hence a fluent level of English is expected.
Livrables Each course is ended by a presentation or a delivable (to be submitted on the course’s Moodle) that will be assessed.
2024-10-01 16:27:15 +0200 CEST
teaching Cette UE propose une vue d’ensemble des pratiques de la recherche en design, art et création, afin d’atteindre deux objectifs pédagogiques. Il s’agit d’abord de contextualiser l’implication de la pratique du design, de l’art ou de la création en recherche, et de développer une approche de recherche au travers de ces pratiques. Il s’agit ensuite de fournir des ressources (connaissances, outils, méthodologies, réseaux…) utiles à la recherche au travers d’une pratique, et de permettre un développement en autonomie des ressources utiles à la pratique de la recherche.
Une attention particulière est portée sur la recherche au travers du design, de l’art et de la création. L’objectif d’une telle approche est de générer une connaissance pertinente à la pratique engagée, au travers d’une imbrication forte entre une pratique et la recherche : la pratique contribue à la création épistémologique. Elle n’y est pas attenante. Cette approche se distingue donc clairement par rapport à celles plus classiques qui séparent recherche académique et pratique de création et visent soit la contribution de la recherche à la pratique, ou l’observation de la recherche sur la pratique. La recherche au travers du design considère la contribution épistémologique de la pratique à la recherche, et la réalisation de la recherche grâce à l’expertise du praticien.
Cette UE vise donc à initier des praticiens à la recherche au travers de leur propre pratique, afin non seulement d’améliorer leur propre perspective sur cette pratique, mais aussi de contribuer au champ disciplinaire de leur pratique et des champs attenants.
Elle vise plus spécifiquement un public de professionnels dont l’activité s’inscrit dans un processus de création (artistique, culturelle, scientifique et technique, idéation…) tant dans le domaine manuel et technique que dans le domaine du projet soucieux de valoriser leur pratique professionnelle à travers un travail de recherche.
2022-09-01 16:27:15 +0200 CEST
teaching Cette UE propose une approche réflexive sur une pratique située, c’est-à-dire sur une pratique vécue dans un contexte réel (e.g., les moments de sociabilité d’une équipe, la recherche d’information, les approches d’idéation…). Elle fournit des outils, issus des domaines du design et de l’innovation, permettant la réflexion transformative des pratiques professionnelles (celles structurées par une normalisation partagée), ou du quotidien (celles rendues habituelles par normalisation personnelle). Il s’agit donc d’instruire une approche qui intègre des pratiques transformatives et innovantes dans les processus liés à l’attention, à l’observation et au développement des pratiques, ainsi qu’à l’expérimentation de leur transformation.
Au travers de cette UE, l’apprenant devra être capable de prendre une posture et une perspective réflexive et pragmatique sur sa propre pratique, questionnant principalement les phénomènes liés à l’habituation, l’appropriation et la transformation. Cette réflexion lui permettra de proposer une dynamique de transformation formalisée par un projet inscrit dans sa propre pratique.
Cette UE vise donc à initier des praticiens (apprenants au niveau 7 ou 8, professionnels) aux pratiques transformatives. Elle fournit des ressources pragmatiques issues de design et de l’innovation permettant la mise en action de cette pratique transformative.
Si le public premier est celui du design, de l’art et de la création, les apprenants peuvent tout à fait venir de tout domaine professionnel, afin d’intégrer une approche réflexive à leur pratique professionnelle (cadres issus de tout domaine professionnel soucieux de valoriser un effort de transformation de leur pratique professionnelle: acteurs sociaux, chefs de projets, cadres RH, métiers de la culture, du patrimoine.
Objectifs pédagogiques S’approprier les enjeux des pratiques transformatives en argumentant du potentiel d’une pratique réflexive située comme origine de transformation, Mettre en place un projet de transformation au travers d’une pratique. Livrables Les livrables attendus pour le cours sont les suivants:
un portfolio annoté une vision projetée un rapport d’étonnement 2022-09-01 16:27:15 +0200 CEST
teaching Objectifs pédagogiques comprendre les bases du fonctionnement de l’internet, connaître les bases de la programmation sur l’internet, manipuler des outils d’organisation sur l’information sur l’internet. Livrables un mini-site web HTML/CSS fait main un site d’organisation d’information sur un sujet pré-défini Encapsulation MR05901A · Master Transition numérique responsable et co-design 2021-09-01 16:27:15 +0200 CEST
teaching Compétences visées Posséder une culture numérique de base- Disposer de méthodes de recherche d’information utiles Connaître les ressources utiles et principes d’organisation de l’information sur le Web permettant de réaliser des recherches Appréhender les principes du Web 2.0 et de la gestion de sa présence numérique permettant de faciliter divers type de recherches 2021-09-01 16:27:15 +0200 CEST
courses Dans une démarche de développement des formations et des activités de recherche liées aux métiers d’art, de la culture, du design et de la création au CNAM, l’École Doctorale Abbé Grégoire a créé une mention « Arts, Design et Société ». Cette création s’inscrit dans une démarche plus large, comprenant entres autres les activités de la chaire Design Jean Prouvé au CNAM, le Master Design « Création, Projet, Transdisciplinarité », la contribution active au développement et à la diplomation des DNMADE de l’Académie de Paris, et le développement de formations initiales et professionnelles dans les métiers d’arts et du design en coopération avec les écoles.
Cette dynamique s’inscrit à la fois dans la tradition multiséculaire du CNAM autour des métiers d’arts et techniques, de la conception et de l’innovation, et dans l’évolution contemporaine du design liée à l’attention grandissante portée sur l’innovation sociale et écologique en France et à l’international.
Elle s’inscrit enfin dans HESAM Université, qui regroupe des acteurs majeurs de la formation en architecture (l’ENSA de Paris La Villette), de la mode (l’IFM), du design et des métiers d’arts notamment (les Écoles d’Arts Appliqués de la CESAAP, l’ENSCI - Les Ateliers, l’ENJMIN, l’INSEAC), et porte une volonté d’un développement complémentaire entre formation initiale et continue, recherche et professionnalisation dans ces domaines.
La mention « Arts, Design et Société » de l’École Doctorale Abbé Grégoire porte sur un ensemble de disciplines liant création et société. C’est à cette intersection que la recherche doctorale de cette mention trouve sa pertinence, entre considérations épistémologiques, artistiques et industrielles, sociétales et écologiques, entre création, conception et innovation. Elle n’est donc jamais une recherche unidisciplinaire, renseignant uniquement son propre champ ou discipline. Elle est pluridisciplinaire et contribue au moins à sa discipline et à l’impact social de celle-ci. Le doctorant devient alors un acteur engagé. La pratique de la recherche se place donc dans un champ nécessairement complexe et aux normes toujours en évolution – champ dont le design est virtuose. Il est en effet une activité de création en dynamique avec les complexités du monde et riche d’une histoire culturelle à la fois issue des arts et de l’industrie.
La mention entend donc soutenir plusieurs approches de recherche, se donnant pour objectif commun et systématique de pouvoir justifier d’une contribution épistémologique à la fois à la recherche et à la pratique liées au design, à l’art et à la création.
De plus, considérant le contexte susmentionné de l’École Doctorale Abbé Grégoire structuré par un tissu académique unique, une recherche au travers de la pratique en design, art ou création sera fortement souhaitée. Ainsi, la mention invitera à développer une recherche basée sur une pratique réflexive, pour favoriser une recherche impliquant la pratique au sein de l’activité de recherche. Une rigueur et une contribution théorique seront bien sûr nécessairement exigées afin d’assurer une qualité académique forte du travail doctoral.
Ce positionnement impose certaines considérations pratiques et organisationnelles :
Il est nécessaire de pouvoir situer l’activité de la recherche dans le contexte où s’inscrit la démarche pratique (pouvant aller de l’atelier, aux laboratoires de recherche, jusqu’à la ville et au territoire). En plus des règles normales pour la composition d’une équipe encadrante, celle-ci inclura au moins un praticien ou acteur responsable du contexte où s’inscrit la démarche pratique impliquée dans le projet de recherche. De même le jury sera composé d’au moins un praticien expérimenté en tant qu’examinateur dans la mesure du possible, ou sinon en tant qu’invité. Cette recherche relevant un défi épistémologique pluridisciplinaire et disséminable, le mémoire de thèse, dont le format respecte le règlement intérieur de l’École doctorale Abbé Grégoire, est la “pièce” principale autour de laquelle la soutenance s’articule. Si un ou plusieurs artefacts sont réalisés dans le cadre de la recherche au travers de la pratique, ces derniers (1) doivent être décrits visuellement et textuellement dans le mémoire – ainsi que leur processus de conception et de fabrication – et (2) peuvent être exposés avant ou pendant la soutenance doctorale. Une attention particulière sera portée à la réflexion théorique ou méthodologique portée sur la pratique par lesquels ces artefacts sont produits. On ne saurait se satisfaire d’une simple explication ou description du travail effectué par la pratique comme unique perspective dans le travail doctoral. L’ensemble de ces points permet non seulement la réalisation d’une recherche au travers de la pratique, mais aussi son suivi par l’équipe encadrante et son évaluation par le jury. Il clarifie de plus que les thèses visées ne soient pas basées sur la seule description ou justification d’une pratique ou d’un projet, mais bien plus fortement sur la contribution de la thèse à la discipline autant du point de vue théorique que méthodologique.
Finalement, considérant la relative jeunesse de la recherche en design et en métiers d’arts, il paraît essentiel de viser trois grands groupes de doctorants potentiels :
L’étudiant issu d’un master 2 d’une formation en architecture, en design ou en métiers d’arts. Celui-ci pourra éventuellement inscrire sa recherche dans la continuité des sujets et des démarches déjà abordés dans le cadre du master, Le praticien professionnel, possédant le grade de master (e.g., obtenue via une VAE), qui posera un sujet de recherche construit sur l’expérience et la pratique professionnelle qui lui sont propres, Et, non le moindre, l’enseignant ou formateur en design, architecture ou métiers d’art, qui non seulement invoquera sa pratique et son expérience d’enseignement pour établir un sujet de recherche pertinent, mais qui aura pour vocation de contribuer par la suite à la formation à la recherche de ses étudiants et auditeurs. L’ambition de la mention « Arts, Design et Société » de l’École Doctorale Abbé Grégoire est donc claire : développer et porter une recherche doctorale réalisée au travers de la pratique des métiers d’art, du design et de l’architecture, dont les implications de développement et de transformation portent à la fois sur des aspects théoriques des disciplines concernées, sur leur épistémologie, leur pratique, ainsi qu’à leur contribution sociale et industrielle.
2023-09-01 16:27:15 +0200 CEST
courses Le design contribue à la création d’objets, de produits, de services, d’images ou d’interfaces. Le design intègre des processus de conception à la fois esthétiques (forme, couleur, matières…), fonctionnels (usage, ergonomie, accessibilité, sécurité…), écologiques (choix et usage des matériaux et des processus de fabrication), et économiques (modèle d’affaires). Le design comme une activité profondément multidisciplinaire qui privilégie les individus dans leurs relations à autrui, aux objets, aux images, aux environnements, aux systèmes techniques. In fine le design donne naissance à l’émotion et définit ou redéfinit une identité des objets ; il peut alors engendrer de l’innovation. La thématique du design s’est fortement développé dans l’économie française ces dernières années avec la montée en puissance des problématiques d’innovation et de conception. En Angleterre, pratiquement 10% de la population travaillerait dans le design, entendu au sens large de toutes les formes de conception selon le Design Council. Des travaux de recherche en ingénierie de la conception et la montée en puissance des « industries créatives » ont progressivement érigé le design en nécessité économique et pédagogique d’une activité de conception intégrée. La mention proposée s’inscrit dans le champ « Innovation, création, conception » du Cnam comme formation transverse et pluridisciplinaire à la conception innovante.
L’objectif de ce Master est de former des créateurs capables de concevoir leur projet professionnel, d’inventer leur pratique de design de manière prospective en intégrant l’évolution des sociétés et des contextes culturels et techniques sans cesse redéfinis.
Ce master s’appuie sur la mise en œuvre d’une pensée et d’une pratique critique qui a pour visée de contribuer à formuler et définir les enjeux du design contemporain.
Dans les différents secteurs d’activité où s’exercent ses compétences, le designer a pour responsabilité de contribuer à créer des réalisations contemporaines utiles et porteuses de sens.
Il s’adapte aux besoins identifiés dans le cadre de contextes et de problématiques complexes relevant de la sensibilité esthétique, des conditions matérielles de mise en œuvre et des contextes humains et relationnels mis en jeu.
2021-10-01 16:27:15 +0200 CEST
courses Créée à la rentrée 2015 par la Conférence des écoles supérieures d’arts appliqués de Paris - Césaap -, la formation Design : création, projet, transdisciplinarité est un diplôme Master 2 délivré par le Conservatoire National des Arts et Métiers - CNAM -. Elle réunit des étudiants issus des différents champs du design.
Pour former des designers-chercheurs capables de questionner les formes de l’environnement humain tout autant que leur propre champ disciplinaire, ce master a fait le choix d’un fonctionnement en résidence. Plongés en immersion, les étudiants découvrent, analysent et interrogent l’institution qui les accueille, investissent ses ressources et ses process, identifient et engagent des projets qui ont force de proposition pour l’avenir.
L’Académie du Climat accueille cette expérimentation. Lieu d’intelligence collective et d’action, cette jeune institution souhaite donner les moyens de comprendre, d’expérimenter et de se mobiliser sur les défis climatiques, comme les possibilités d’actions pour construire collectivement les chemins vers un futur désirable.
Les jeunes designers initient des projets collectifs qui investissent tous les champs du design, du protocole de médiation à la production artisanale. Collectivement et individuellement, ils font appel aux ressources de l’institution, entreprennent collectes et inventaires de ces ressources et l’enrichissent, engagent le réemploi de matières d’œuvre, et mobilisent les forces vives de l’institution en proposant, in situ, rencontres, échanges, expertises et partages de connaissances.
Le master Design, création, projet, transdisciplinarité propose 20 places aux étudiants issus des Diplômes supérieurs des Arts Appliqués - DSAA - ou d’un master 1 lié aux domaines des arts et du design. Les étudiants sont accueillis en résidence à l’Académie du Climat du mois d’octobre au mois d’avril. Ils sont accompagnés d’enseignants issus des quatre écoles supérieures d’arts appliqués de Paris - Boulle, Duperré, Estienne, Ensaama -. Ils constituent des collectifs de recherche et de création afin d’identifier des enjeux et des sujets adaptés au contexte de la résidence. Les enseignements et le tutorat de projet se développent dans le cadre de l’Académie du Climat pour la résidence, au CNAM pour une partie des cours et sur les plateaux techniques des quatre écoles pour les phases de production.
Les étudiants conçoivent les contenus éditoriaux de la revue du master - Plateau - et les expositions dédiées à leurs productions.
L’année s’achève avec un stage de cinq mois en entreprise ou dans le cadre d’une institution culturelle.
2021-10-01 16:27:15 +0200 CEST
projects Les cahiers de l’école du non-savoir sont publiés et accessibles sur le site de Civic City et sur Ulule.
L’école du non-savoir, projet et événement collaboratif avec Civic-City, Ruedi Baur et Vera Bau, la chaire Design Jean Prouvé (Pierre Lévy) du Cnam, l’Institut Français et l’Estienne / École Supérieure des Arts et Industries Graphiques, repose sur la conviction que le dialogue entre arts, design, sciences et société est à même de proposer de nouveaux horizons dans la compréhension et l’appréhension des mondes connus et à découvrir. Questionner par une réflexion collaborative et évolutive les mystères et les angles morts du monde actuel et des mondes à venir, notre rapport au connu, à l’inconnu, au caché, à l’enfoui, d’en interroger les représentations comme les modes de transmission du non-savoir. L’objectif est d’imaginer la manière dont le design peut donner de la visibilité à ce qui n’est pas visible, rendre perceptible ce qui ne l’est pas, donner à voir ce qui ne peut être vu. Pour cela, il réunit des experts et un réseau de 30 écoles d’art et de design àbtravers le monde pour interroger ensemble ces non-savoirs.
Cet événement aura lieu les 1er et 2 février 2024 dans la Salle des Textiles au CNAM.
Il est accompagné du 1er février au 30 mars par une exposition des panneaux de l’école du non-savoir à l’École Estienne / École Supérieure des Arts et Industries Graphiques.
L’école du non-savoir, a collaborative project and event with Civic-City, Ruedi Baur and Vera Bau, the Cnam’s Design Jean Prouvé chair (Pierre Lévy), the Institut Français and Estienne / École Supérieure des Arts et Industries Graphiques, is based on the conviction that dialogue between the arts, design, science and society can open up new horizons in our understanding and apprehension of known and yet-to-be-discovered worlds. Through collaborative and evolving reflection, we question the mysteries and blind spots of today’s world and of worlds to come, our relationship with the known, the unknown, the hidden and the buried, questioning representations as well as modes of transmission of non-knowledge. The aim is to imagine how design can give visibility to what is not visible, make perceptible what is not, and show what cannot be seen. To this end, it is bringing together experts and a network of 30 art and design schools from around the world to examine this non-knowledge together.
The event will take place on February 1 and 2, 2024 in the Salle des Textiles at the CNAM. It will be accompanied from February 1 to March 30 by an exhibition of panels from the School of Non-Knowledge at the École Estienne / École Supérieure des Arts et Industries Graphiques.
Le / Séminaire de l'École du non-savoir / s’est tenu au Cnam le 16 octobre 2023.
Quelques panneaux Semiotica del Tatuaggio - NABA Nuva Accademia di Belle Arti, Milano
What is the common language of minakind? - Polish-Japanese Academy of Information Technology, Poland
How are we living in this world? - Musashino Art University, Japan
Et plus ici
2024-01-31 10:30:52 +0200 +0200
projects La TransFabriC Institut de la transfabrication circulaire matérialise l’ambition du Conservatoire national des Arts et Métiers d’accompagner le développement des pratiques sociales et citoyennes pour l’émergence d’une économie sociale, solidaire et circulaire (ESSC). Il s’agit de créer un éco-système opérant, des formations et un programme de recherche, capables ensemble de faire émerger une ESSC répondant aux missions historiques du CNAM.
Éco-système Créer des lieux de mutualisation des pratiques de transformation de la matière (entreprises, ateliers, fablabs, labos, ressourceries…)
Permettre le pilotage de la transformation de la matière
Fédérer les acteurs de l’ESSC en assurant une interface entre le milieu de l’enseignement supérieur et le monde socio-économique
Formation Acculturer aux pratiques liées à l’ESSC, pour tout public
Former aux métiers de l’ESSC de la transformation de la matière
Former aux défis du recyclage citoyen Construire une communauté d’apprenants et de contributeurs
Recherche Caractériser les dimensions sociales et écologiques de l’appropriation au quotidien
Contribuer à la transformation des pratiques liées à l’ESSC
Concevoir des dispositifs pour l’Intégrationde la créativité citoyenne à l’ESSC
2022-12-01 13:38:26 +0200 +0200
writings L’enseignement du design et des métiers d’art a significativement évolué ces dernières années. Si la création du DNMADE en est probablement le porte-drapeau, l’augmentation des thèses et des HDRs liées à la recherche en design, le développement de masters dans plusieurs institutions en sont d’autres éléments significatifs. L’évolution du public apprenant est aussi remarquable. Depuis la création du DNMADE, il semble par exemple y avoir une augmentation importante du nombre relatif d’étudiant.e.s venant du baccalauréat général par rapport au celui venant baccalauréat ST2A pourtant dédié à ces études. On note aussi l’accroissement statistiquement non-négligeable et sociologiquement bruyant des premiers de la classe (pour reprendre l’expression de Jean-Laurent Cassely), c’est-à-dire des diplômés de filières plus classiques, qui reprennent une formation dans un métiers d’art. Il est donc bon de réfléchir régulièrement sur ces évolutions et d’inviter l’ensemble des perspectives engagées de le faire.
Il m’est donc opportun d’exposer ici une perspective à laquelle j’adhère, tout en soulignant que la pluralité des perspectives est une force en design, et un atout dans son enseignement. La multiplicité des perspectives est de fait constitutive du design et de ses pratiques. Comme nous le rappellent la professeur en design Alethea Blackler et ses collègues, l’ambition de vouloir définir le design est une vieille aventure et semble être une interminable discussion au sein de ses communautés. Si elle paraît alors être une quête inatteignable, et probablement naïve, elle est toutefois très utile. Elle nous permet d’entretenir ensemble, au sein des communautés du design et entre celles-ci, un dialogue constitué d’une multitude de perspectives, d’une richesse de désaccords constructifs, et de propositions toujours mises au défi et renouvelées. Cela nous permet alors de faire avancer ces perspectives, et de comprendre comment elles peuvent contribuer aux pratiques du design, et donc au domaine du design et des métiers d’art dans son ensemble, et bien évidemment à son enseignement. La multiplicité des perspectives et les dichotomies qu’elles créent ne sont donc pas qu’une force pour la recherche et la réflexion sur le design et les métiers d’art, elles le sont également pour leurs pratiques professionnelles et pour leur enseignement.
Le philosophe du design Johan Redström nous montre d’ailleurs que le design est fondamentalement et historiquement structuré sur des dichotomies. Pour penser son enseignement, nous nous intéressons entres autres aux relations dichotomiques entre méthodes et pratiques qui prennent forme entre la salle de cours et l’atelier, entre quotidien et enjeux globaux qui différentient le design pour l’expérience et le design de système, entre arts et industrie qui impactent les ingénieries sous-jacentes.
Ces dichotomies sont des lieux de frictions qui invitent le design à questionner en permanence son positionnement et son action. La pratique du design est donc fondamentalement réflexive. Comme pratique située dans un contexte complexe et toujours changeant par cette pratique même, le design est insaisissable. Autrement dit, et en complétant les propos de Johan Redström, le design est complexe et coloré, c’est-à-dire riche de sa variété de pratiques, résilient et apprenant, engagé et transformant.
Ces couleurs du design ainsi révélées induisent la possibilité une grande variété d’approches pour l’enseignement du design et sa nécessité de pouvoir toujours évoluer. J’ai eu la chance dans mon parcours de faire l’expérience de plusieurs approches, de plusieurs logiques, qui visent différentes pratiques de design qui trouveront leur place dans différents lieux de la société et de l’industrie. Mon parcours explique en effet en partie mon positionnement. J’ai étudié et travaillé dans le domaine du design pendant de nombreuses années dans 4 pays sur 3 continents (France, Canada, Japon, Pays-Bas), le plus souvent aux frontières interdisciplinaires entre le design et l’ingénierie, le management, les sciences cognitives, les sciences de l’information et de la communication, ou les métiers d’arts. J’ai fait l’expérience d’enseigner le design dans des formats, des contextes et des traditions académiques et industrielles différents, au travers desquels je retiens une force dans chacun de ces lieux et une richesse dans leurs différences.
Le paysage français, dans lequel je suis depuis peu revenu, semble intégrer cette diversité. Ce qui marque en premier lieu est en fait l’écartèlement que subit le projet national de la formation en design et métiers d’art. Quatre ministères au moins gèrent une formation en design et métiers d’art. Autant de focales institutionnelles qui impactent la formation et les pratiques par des forces disparates, parfois contradictoires. Et tant mieux!, car le design est cette variété.
La volonté d’harmoniser, et l’idée même d’une harmonisation sont à mon sens une erreur et une mécompréhension de ce que peut être le design. Encore une fois, la variété des enseignements, des approches, des visions du design mises à disposition des apprenants eux-mêmes venants d’horizons différents ne peut être qu’une force pour le développement des métiers liés au design et aux métiers d’art.
Il y a alors cinq points auxquels il va falloir prêter attention dans les développements à venir des formations en design et métiers d’art.
Il faut d’abord s’assurer de la grande variété des pratiques en design et métiers d’arts. Tous ont en commun l’ambition d’une transformation de la matière. Mais la nature des matériaux, les techniques de transformation et les visions engagées dans leurs pratiques peuvent varier. La pluralité de l’enseignement permet l’expression de la pluralité des perspectives. Une harmonisation des formations induirait un appauvrissement des pratiques. L’objectif d’une communauté enseignante et apprenante est de mettre en valeur cette variété. On peut déjà différentier les formations en design dans les écoles des métiers d’arts et du design (e.g. Ensaama ou Lycée Renoir), de celles ayants lieu dans les écoles du ministère de la culture (e.g., Ensad et Ensci), et celles enfin ayant lieu lieux dans les écoles plus orientées vers l’ingénierie (e.g. UTC ou CY école de design). Il faut également différentier la formation professionnelle et la formation académique. Elles n’ont pas les mêmes contraintes ni les mêmes ambitions. Dans ce sens, tenter d’aligner toutes les formations du supérieur à un parcours LMD est contre-productif pour le design et les métiers d’art. De façon peut-être simpliste, une formation professionnelle devrait viser en premier un savoir et un pouvoir de la main, une formation académique ceux de la réflexion critique.
Bien évidemment, cela n’implique pas que les apprenants doivent choisir strictement l’un ou l’autre. Des ponts entre les formations sont une force supplémentaire pour chacune des formations. J’ai déjà mentionné ces diplômés du monde académique qui reprennent des études en formation professionnelle. Cela devrait être également possible dans le sens inverse. Parmi les meilleur.e.s étudiant.e.s avec lesquel.le.s j’ai travaillé à l’Université de Technologie d’Eindhoven aux Pays-Bas, une quantité non négligeable venait d’une formation professionnelle. Des mains compétentes et une tête pensante sont ce que l’on peut espérer de mieux pour un artisan ou un designer. Si elles sont pensées et organisées correctement, ces formations peuvent être également suivie en parallèle, l’une venant en complémentarité de l’autre. Ainsi, la possibilité d’organiser une double-diplômation offre une véritable opportunité d’apprentissage riche et complet aux apprenants. Le Cnam et des écoles engagées dans la formation en DSAA travaillent aujourd’hui à la mise en place d’un double diplôme qui proposera aux étudiants qui le souhaitent de compléter leur formation en DSAA par des enseignements du Cnam en parallèle. Cette structure leur permettra à la fois de valoriser leur formation professionnelle au travers du DSAA et leur formation académique au travers du master design du Cnam.
De plus, la formation initiale en design et métiers d’art devrait clairement pouvoir commencer en CAP et finir en DSAA ou master en formation professionnelle, et en doctorat en formation universitaire. La formation continue est elle aussi multiforme, dont le GRETA CDMA est la probablement la forme la plus visible. La structure globale de la formation a donc deux défis temporels : assurer la continuation de la formation initiale et permettre à tous de repasser par une formation au cours de la carrière professionnelle. Assurer la continuation de la formation suggère simplement qu’une personne débutant un CAP devrait connaître et avoir confiance dans l’existence et dans la faisabilité d’un chemin lui permettant d’atteindre le DSAA ou le doctorat. Une formation coupée en morceaux disjoints ne devrait plus être acceptable. Tout professionnel du design et des métiers d’art devrait de plus pouvoir revenir en formation, qu’il s’agisse d’artisans souhaitant suivre une formation en ingénierie culturelle ou en entreprenariat lié à l’artisanat; qu’il s’agisse de designers souhaitant suivre une formation de remise à jour des outils et techniques liés à leur domaine ou une formation en recherche en design; qu’il s’agisse d’un enseignant en design et métiers d’art souhaitant mettre à jour ses connaissances et ses outils pour la formation et éventuellement pour acquérir de nouvelles possibilités d’évolution de carrière. Nombreuses sont les raisons pour lesquelles il ne faut plus penser la formation en design et métiers d’art de façon séquentielle, mais l’envisager comme un continuum sur l’ensemble du spectrum de la formation initiale, elle-même étant un déploiement se prolongeant tout au long de la vie.
Enfin, il faut continuer à ouvrir les formations. Cela passe bien évidement par des formations en alternance comme une des possibilités offertes à la formation dans les métiers d’arts et du design. Multiplier les formes de formation ne fera qu’enrichir les apprentissages et donc les pratiques.
Cela passe également par l’internationalisation des formations. L’ouverture culturelle et technique qu’offre l’internationalisation bilatérale, c’est-à-dire avec l’envoi d’apprenants à l’international et l’accueil d’apprenants internationaux, impacte à la fois à la fois la qualité de la formation et le développement professionnel, intellectuel et culturel des apprenants. Cela passe enfin par des parcours mutualisés de formation. Un apprenants en métiers d’art travaillant sur du métal et souhaitant recevoir une formation technique sur les différant métaux devrait pouvoir le faire là où le savoir technique est central, e.g., dans une école d’ingénieur. Et du fait que cette formation vient enrichir sa formation initiale, elle devrait être comptabilisée dans sa formation d’artisan, dans son école d’origine pour le diplôme qu’elle délivre. Inversement, un étudiant en ingénierie textile devrait pouvoir suivre une formation en art textile ou mode qui serait intégré dans sa formation technique. Cela implique un effort d’ouverture et de mutualisation des ressources de formation, au service de l’apprenant et de son développement professionnel, intellectuel et culturel.
À un moment où l’effort d’une réindustrialisation doit se conjuguer avec des enjeux écologiques et des défis de vitalité culturelle, les métiers du savoir-faire ont le double défi de contribuer aux enjeux économiques, écologiques et culturels d’une part, et de revaloriser le savoir de la main et la connaissance technique et matérielle d’autre part. Là où l’éclatement de ces formations pourrait être considéré comme une faiblesse, autant dans leur structure administrative que dans leurs formes pédagogiques, je le soutiens comme une force potentielle entretenir et travailler. La pluralité des disciplines engagées dans ces pratiques, la pluralité des pratiques et de leur contexte de déploiement, et la complexité dans laquelle elles évoluent sont tous autant d’arguments pour revendiquer la multiplicité des formations et des formes de formations, et pour promouvoir une cohérence de cette multiplicité au travers de parcours riches verticalement (du CAP au doctorat) et horizontalement (entre formations artistiques et techniques). L’harmonisation est un danger pour les formations aux métiers d’arts et au design. C’est une intelligence collective entre les institutions, permettant la richesse d’une diversité cohérente et entrelacée, qui donnera toute la place aux formations aux métiers d’arts et du design, lesquelles joueront alors un rôle significatif dans les défis industriels, économiques, écologiques et culturels de notre temps.
2023-05-20 13:38:26 +0200 CEST
research La question du quotidien est remarquable le sujet du quotidien n’étant que très peu, et souvent assez mal traité en design. Le terme quotidien est beaucoup utilisé dans la littérature en design (e.g., (Hallnäs & Redström, 2002; Norman, 2013; Saito, 2007; Wakkary & Maestri, 2007)), mais la notion elle-même est très peu traitée. Pour illustrer cela, on pointera par exemple la simple omission de la description de cette notion dans l’ouvrage classique du Design de tous les jours de Don Norman (2013) ou encore dans celui sur l’Esthétique de tous les jours de Yuriko Saito (2007). Utilisant ces exemples, j’ai initié une discussion sur la liste de diffusion PhD-Design mailing list (P. Levy, personal communication, April 4, 2017) faisant appel à la communauté de la recherche en design pour déterminer les directions possibles en vue de clarifier le concept de quotidien. Cette discussion a permis à la fois de confirmer le flou entourant la notion du quotidien en design, et de désigner des directions pour une telle clarification, et nous en emprunterons certaines par la suite. Mais au-delà de ces deux points, elle a également contenu une remarque qui a retenu mon attention. Un chercheur émérite a indiqué que tout en ayant cherché à comprendre la façon dont le design interroge le quotidien, il a en même temps renoncé à essayer de le définir. Pour lui, ce terme fait partie d’un ensemble de termes tellement constitutifs du design qu’il varie avec la perspective prise sur le design. Définir le quotidien nécessiterait de définir le design.
Je suis en désaccord avec cela. Certes, tenter de définir le design est un travail qui s’est toujours révélé insatisfaisant, et est a priori problématique. Mais ces tentatives sont aussi en soi une force pour la discipline car la pluralité des perspectives s’est avérée être utile pour une remise en question continue de la discipline, de son évolution, et surtout de la considération de sa propre complexité. Elle a également contribué à porter un échange sérieux et constructif avec les disciplines connexes. Redström (2017) suggère même que « la présence de différentes définitions est instrumentale puisque nous essayons de comprendre et d’articuler ce que sont les choses telles que design et designer ; l’absence de cette définition unifiée n’est pas un vide conceptuel de notre pensée mais en fait une stratégie effective pour surmonter certains types de complexité ». A l’instar du design, étudier le quotidien et tenter d’en formuler une description n’a pas pour but de figer la notion par une formulation que l’on aimerait salvatrice. Bien au contraire, elle a pour ambition première une exploration, c’est-à-dire un voyage dont la destination est inconnue et en fait secondaire. Explorer le quotidien au travers du design, c’est avant tout tenter de créer une perspective sur nos vies et nos expériences, sur le banal, et sur le design. Elle invite à développer une approche par laquelle le design pourra transformer le quotidien, ressaisissant sa beauté profonde sans le dénaturer. Étudier la vie quotidienne afin de la transformer, afin de l’enchanter.
Cet axe de recherche tente donc d’ouvrir le territoire du quotidien et de ses valeurs, le territoire de nos vies dans ce qu’elles ont de plus réel, éloignées de ces expériences que l’on nous dit être extraordinaires parce qu’en fait inatteignables, et que l’on ne peut donc qu’en rêver. Ma proposition est de se pencher sur ce qui est là, tous les jours, et bien souvent oublié ou ignoré dans nos vies et dans le design (Pérec parle d’anesthésie). S’intéresser au design pour le quotidien, c’est chercher dans le banal, dans le commun, dans l’endotique ce qui est beau ou ce qui peut le devenir.
Le temps de l'expérience, enchanter le quotidien par le design
La cérémonie japonaise du thé est un moment d’expérience esthétique et éthique du quotidien, une harmonie entre objets, êtres, lieux et pratiques. Elle nous rappelle que les objets du quotidien, cœur même de notre culture matérielle, sont d’une beauté profonde et porteur d’une éthique admirable, et passent pourtant le plus souvent inaperçus. À la croisée d’une réflexion sur une approche « japonaise » en design au travers de l’étude du kansei, et d’une réflexion sur le design en IHM portée par les théories de l’embodiment, cette recherche interroge d’abord l’hégémonie culturelle occidentale du design en IHM, et établie ensuite un décentrage culturel de la discipline en prenant la philosophie et la culture japonaise comme théorie. Il en résulte un nouveau regard sur le design, autant en réception qu’en production, porté par une éthique de la relation, une expérience de l’ainsité, et une esthétique de l’irrégularité. Ce regard invite le design à enchanter le quotidien, lui proposant de considérer les détails de la réalité telle qu’elle est vécue, et de créer des moments d’inattendus, sources d’étonnement et de nouveaux possibles. Invitant donc à un décentrage culturel du design, cette recherche propose une approche originale pour un design du quotidien, et contribue à voir en lui une source esthétique et éthique majeure, pour développement de l’être, de sa sensibilité, et de ses valeurs.
2020-10-16 20:04:12 +0200 CEST
research La question du quotidien est remarquable le sujet du quotidien n’étant que très peu, et souvent assez mal traité en design. Le terme quotidien est beaucoup utilisé dans la littérature en design (e.g., (Hallnäs & Redström, 2002; Norman, 2013; Saito, 2007; Wakkary & Maestri, 2007)), mais la notion elle-même est très peu traitée. Pour illustrer cela, on pointera par exemple la simple omission de la description de cette notion dans l’ouvrage classique du Design de tous les jours de Don Norman (2013) ou encore dans celui sur l’Esthétique de tous les jours de Yuriko Saito (2007). Utilisant ces exemples, j’ai initié une discussion sur la liste de diffusion PhD-Design mailing list (P. Levy, personal communication, April 4, 2017) faisant appel à la communauté de la recherche en design pour déterminer les directions possibles en vue de clarifier le concept de quotidien. Cette discussion a permis à la fois de confirmer le flou entourant la notion du quotidien en design, et de désigner des directions pour une telle clarification, et nous en emprunterons certaines par la suite. Mais au-delà de ces deux points, elle a également contenu une remarque qui a retenu mon attention. Un chercheur émérite a indiqué que tout en ayant cherché à comprendre la façon dont le design interroge le quotidien, il a en même temps renoncé à essayer de le définir. Pour lui, ce terme fait partie d’un ensemble de termes tellement constitutifs du design qu’il varie avec la perspective prise sur le design. Définir le quotidien nécessiterait de définir le design.
Je suis en désaccord avec cela. Certes, tenter de définir le design est un travail qui s’est toujours révélé insatisfaisant, et est a priori problématique. Mais ces tentatives sont aussi en soi une force pour la discipline car la pluralité des perspectives s’est avérée être utile pour une remise en question continue de la discipline, de son évolution, et surtout de la considération de sa propre complexité. Elle a également contribué à porter un échange sérieux et constructif avec les disciplines connexes. Redström (2017) suggère même que « la présence de différentes définitions est instrumentale puisque nous essayons de comprendre et d’articuler ce que sont les choses telles que design et designer ; l’absence de cette définition unifiée n’est pas un vide conceptuel de notre pensée mais en fait une stratégie effective pour surmonter certains types de complexité ». A l’instar du design, étudier le quotidien et tenter d’en formuler une description n’a pas pour but de figer la notion par une formulation que l’on aimerait salvatrice. Bien au contraire, elle a pour ambition première une exploration, c’est-à-dire un voyage dont la destination est inconnue et en fait secondaire. Explorer le quotidien au travers du design, c’est avant tout tenter de créer une perspective sur nos vies et nos expériences, sur le banal, et sur le design. Elle invite à développer une approche par laquelle le design pourra transformer le quotidien, ressaisissant sa beauté profonde sans le dénaturer. Étudier la vie quotidienne afin de la transformer, afin de l’enchanter.
Cet axe de recherche tente donc d’ouvrir le territoire du quotidien et de ses valeurs, le territoire de nos vies dans ce qu’elles ont de plus réel, éloignées de ces expériences que l’on nous dit être extraordinaires parce qu’en fait inatteignables, et que l’on ne peut donc qu’en rêver. Ma proposition est de se pencher sur ce qui est là, tous les jours, et bien souvent oublié ou ignoré dans nos vies et dans le design (Pérec parle d’anesthésie). S’intéresser au design pour le quotidien, c’est chercher dans le banal, dans le commun, dans l’endotique ce qui est beau ou ce qui peut le devenir.
Le temps de l’expérience, enchanter le quotidien par le design La cérémonie japonaise du thé est un moment d’expérience esthétique et éthique du quotidien, une harmonie entre objets, êtres, lieux et pratiques. Elle nous rappelle que les objets du quotidien, cœur même de notre culture matérielle, sont d’une beauté profonde et porteur d’une éthique admirable, et passent pourtant le plus souvent inaperçus. À la croisée d’une réflexion sur une approche « japonaise » en design au travers de l’étude du kansei, et d’une réflexion sur le design en IHM portée par les théories de l’embodiment, cette recherche interroge d’abord l’hégémonie culturelle occidentale du design en IHM, et établie ensuite un décentrage culturel de la discipline en prenant la philosophie et la culture japonaise comme théorie. Il en résulte un nouveau regard sur le design, autant en réception qu’en production, porté par une éthique de la relation, une expérience de l’ainsité, et une esthétique de l’irrégularité. Ce regard invite le design à enchanter le quotidien, lui proposant de considérer les détails de la réalité telle qu’elle est vécue, et de créer des moments d’inattendus, sources d’étonnement et de nouveaux possibles. Invitant donc à un décentrage culturel du design, cette recherche propose une approche originale pour un design du quotidien, et contribue à voir en lui une source esthétique et éthique majeure, pour développement de l’être, de sa sensibilité, et de ses valeurs.
2020-10-16 20:04:12 +0200 CEST
team Pierre Lévy est professeur du Conservatoire national des Arts et Métiers, titulaire de la Chaire design Jean Prouvé, et membre du laboratoire Dicen-IDF (EA 7339). Il est titulaire d’un diplôme d’ingénieur en génie mécanique (UT Compiègne, France), d’un doctorat en science du kansei (de l’affectif) (Université de Tsukuba, Japon) et d’une HDR en sciences de l’information et de la communication (UT Compiègne, France). Il a vécu pendant près de 10 ans au Japon (où il a travaillé dans l’industrie puis dans plusieurs universités japonaises) et 12 ans aux Pays-Bas (à l’Université de Technologie d’Eindhoven).
Ses travaux portent sur la relation entre les moments créatifs que sont la pratique du design et l’appropriation dans les pratiques du quotidien. Ces travaux se fondent sur des théories liées à l’embodiment, aux pratiques réflexives, ainsi qu’à la philosophie et la pensée japonaise. Au travers de cette recherche, Pierre Lévy discute la posture et le rôle sociétal du design, et plus généralement des pratiques réflexives, au service de la transformation du quotidien.
2020-10-24 00:55:28 +0200 CEST