La vision projetée
La vision projetée est basée sur les travaux de Caroline Hummels et Diane Vinke et du portfolio annoté (cf. cours précédent).
Introduction
La vision projetée, proposition inspirée du personal development plan (Hummels & Vinke, 2009), structure et engage un designer, artisan ou artiste sur une prise de décision quant à son positionnement par rapport au type de pratique, de projet, et de positionnement sociétal qu’il·elle entend avoir. L’objectif est de conduire une réflexion qui permet de former un horizon, à partir duquel on pourra organiser des arguments utiles à la prise de décisions d’actions à venir et de positions à prendre. La vision projetée est donc essentiellement programmatique : tout en utilisant des expériences passées, elle contribue à dessiner un horizon souhaitabe, et un chemin pour avancer vers celui-ci. Et comme pour tout horizon, l’atteindre reste un événement très incertain (en fait, probablement non souhaitable). C’est le chemin qui importe, et le plus souvent il évoluera au fur et à mesure du parcours.
Structure
Un corpus de projets
La création d’une vision projetée se base sur un corpus de projets à ordonner. Pour cela, on s’inspire du portfolio annoté (Gaver & Bowers, 2012) qui permet un tel travail. Les projets sélectionnés peuvent être ceux réalisés par celui ou celle qui travaille sur la vision projetée. S’ils sont nombreux, seuls sont sélectionnés ceux qui ont eu un impact significatif sur le développement en compétences, sur la vision du monde et du design, sur la compréhension de ce que le design est, sur le rapport à la pratique du design… en somme, ceux qui ont « compté ». Les projets d’autres designers, artisans, artistes… peuvent également être sélectionnés. On privilégiera les projets qui ont eu un impact profond sur le rapport au design, qui ont profondément inspiré la pratique, qui ont causé une rupture dans la pratique ou de la vision… encore une fois, ceux qui ont « compté ». Dans tous les cas, la sélection de tout projet doit être clairement justifiable et écrite. L’objectif de l’analyse du corpus est de dégager des descripteurs et des dimensions soit communs à ces projets, soit au contraire spécifiques à un ou peu de projets. Ce qui est commun permet de déterminer des constantes ou des tendances. Ce qui est spécifique permet de détecter des expériences uniques, possiblement les ruptures de vision ou de pratique. Ces ruptures peuvent être perçues positivement ou négativement. Un regard positif sur la rupture sera constructif de l’horizon visé et sera en résonance avec celui-ci. Un regard négatif sera limitatif ou en opposition avec l’horizon visé et sera en dissonance avec celui-ci. Une sélection de ces descripteurs et de ces dimensions permet donc de mettre en évidence la structure d’un espace dans lequel le·a designer entend évoluer, fixant ce qui est à l’intérieur et à l’extérieur de cet espace. Les bords en sont ainsi tracés.
Une réflexion synthétique
La description de ce que contient cet espace devient matière pour une mise en perspective de l’espace lui-même. Une synthèse de ce contenu permet alors de caractériser ce qui est constitutif de l’expérience de celui ou de celle qui travaille sur la vision projetée.
De cette synthèse peuvent être extraits deux éléments constitutifs de la vision projetée. Tout d’abord un horizon, qui décrit ce vers quoi on souhaite tendre en termes de type de pratique, de lieu de pratique, d’objet de design, et de positionnement sociétal. Cet horizon décrit donc plus ou moins directement son identité en tant que designer, artisan ou artiste, sa pratique située, et les champs d’applications visées. Ensuite, un discernement de ce qui est atteignable dans le court terme, de ce qui doit être mise en place déjà pour l’atteindre plus tard, et de ce qui reste dans le domaine de l’horizon.
- Pour ce qui est atteignable, on déterminera une série d’actions pour débuter le chemin. Il s’agit ici de considérer ce qui est déjà en place, ce qui l’est presque (e.g., parfaire une compétence, écrire une note d’intention), ce qui peut être stratégisé de façon opérationnelle (e.g., des lectures, des rencontres, des visites, des événements…).
- Pour ce qui est à atteindre plus tard, il s’agira de voir ce qui peut tout de même être fait dans le court terme, et ce qui doit rester en veille pour pouvoir potentiellement saisir toute opportunité qui se présenterait. Pour le reste, ce qui reste dans le domaine de l’horizon, il s’agit surtout d’en créer un narratif qui permet de compléter la vision.
Ce narratif est d’autant plus important qu’il permettra de déterminer, lorsqu’une évaluation de la vision sera faite, les conséquences d’une potentielle différence entre le chemin envisagé et celui effectivement parcouru.
Finalement, il faut justement fixer une date d’évaluation de cette vision projetée ainsi formulée. Cette date peut être un jour du calendrier ou un jour lié à un événement, e.g., la fin d’un projet majeur, une période moins intense, une période d’évaluation…
Et après
Cette date est essentielle pour garder une effectivité de la vision projetée. Cette évaluation est primordiale. Non seulement elle permet d’apprécier le chemin parcouru et de revenir sur le chemin si nécessaire, mais elle permet également et surtout de « reformer l’horizon ». Avec le chemin parcouru, on peut se demander légitimement si l’horizon lui-même n’a pas changé, si la vision n’a pas évolué, si les objectifs et les moyens pour y arriver sont toujours pertinents. Il s’agit alors de mettre à jour le portfolio annoté, de l’enrichir de l’expérience passée, pour en garder, voire renforcer ce qui reste, de modifier ce qui doit l’être, et éventuellement d’enlever ce qui n’a plus raison d’être.
À l’aune des opportunités qui se présentent dans un futur proche, l’analyse viendra certainement à changer pour à la fois faire évoluer l’espace où se forme la vision, qui est l’essence du document, et ensuite redessiner l’horizon et le chemin qui y mène. Les conséquences sur la mise à jour des actions à prendre seront évidentes.
Format
Il n’y a pas de format prédéfini d’une vision projetée, bien qu’il soit nécessaire de suivre une contrainte de travail : la traçabilité de l’analyse et de la réflexion. Cette traçabilité est essentielle pour pouvoir correctement en faire l’évaluation avant sa mise à jour. Il faut en effet pouvoir faire la différence entre la pensée au moment de la formation de cette vision projetée et la pensée rétrospective au moment de son évaluation. Cette différence peut être l’objet d’une réflexion venant enrichir la vision. Mais son format n’est pas non plus arbitraire. Comme pour tout travail de design, d’artisanat ou d’art, la forme fait aussi texte ! Sa forme doit donc être l’expression de son auteur, et le signe de son ambition.